Le temps a retrouvé son charroi monotone
Fotografia de Robert Doisneau |
Le temps a retrouvé son charroi monotone
Et rattelé ses boeufs lents et roux, c’est l’automne.
Le ciel creuse des trous entre les feuilles d’or,
Octobre électroscope a frémi mais s’endort.
Jours carolingiens. Nous sommes des rois lâches,
Nos rêves se sont mis au pas mou de nos vaches.
A peine savons-nous qu’on meurt au bout des champs
Et ce que l’aube fait l’ignore le couchant.
Nous errons à travers des demeures vidées
Sans chaînes, sans draps blancs, sans plaintes, sans idées
Spectres du plein midi, revenants du plein jour
Fantômes d’une vie où l’on parlait d’amour.
L’ère des phrases mécaniques recommence,
L’homme dépose enfin l’orgueil, et la romance
Qui traîne sur sa lèvre est un air idiot
Qu’il a trop entendu grâce à la radio.
Vingt ans après. Titre ironique où notre vie
S’inscrivit tout entière, et le songe dévie
Sur ces trois mots moqueurs d’Alexandre Dumas
Père, avec l’ombre de celle que tu aimas.
Il n’en est qu’une, la plus belle, la plus douce,
Elle seule surnage ainsi qu’octobre rousse ;
Elle seule l’angoisse et l’espoir, mon amour
Et j’attends qu’elle écrive, et je compte les jours.
Tu n’as de l’existence eu que la moitié mûre
O ma femme, les ans réfléchis qui nous furent
Parcimonieusement comptés mais heureux
Où les gens qui parlaient de nous disaient Eux deux.
Va, tu n’as rien perdu de ce mauvais jeune homme
Qui s’efface au lointain comme un signe, ou mieux comme
Une lettre tracée au bord de l’Océan ;
Tu ne l’as pas connu cette ombre ce néant.
Un homme change ainsi qu’au ciel font les nuages.
Tu passais tendrement la main sur mon visage
Et sur l’air soucieux que mon front avait pris,
T’attardant à l’endroit où les cheveux sont gris.
O mon amour ô mon amour toi seule existe
A cette heure pour moi du crépuscule triste
Où je perds à la fois le fil de mon poème,
Et celui de ma vie, et la joie, et la voix,
Parce que j’ai voulu te redire Je t’aime,
Et que ce mot fait mal quand il est dit sans toi.
Louis Aragon
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